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Les facultés de médecine ne se soucient (presque) pas des coûts de la santé

Paru dans Le Temps le 16 oct. 2018

Les facultés de médecine ne se soucient (presque) pas des coûts de la santé

Sylvain Besson (Le Temps, 25.9.18) appelle à davantage de coercition sur les acteurs du système de santé pour parvenir à en maîtriser les coûts : « Forcer la main aux acteurs du système, ce n’est pas très suisse. Mais ça marche. »

Le problème est que l’évolution de la médecine est dirigée par les facultés et les hôpitaux universitaires, lesquels n’aiment guère les contraintes.

Prenons l’exemple du CHUV. On y voit s’allonger d’année en année la liste des examens auxquels sont soumis assez systématiquement les patients qui se présentent aux urgences, prescrits par des médecins qui n’ont aucune idée des factures qu’ils génèrent. Tel professeur m'avoue qu’il a renoncé à s’intéresser aux coûts de la santé. Tel autre m’indique qu’il n’existe plus aucune pression sur les assistants pour pratiquer une médecine plus efficiente. Tels médecins cadres me signalent en revanche les pressions dont ils sont l’objet, en provenance de la direction financière, pour « faire du chiffre ». Le résultat se mesure dans les comptes. Difficile d’y voir clair pour les hospitalisations. Mais pour le secteur ambulatoire, sur la base des rapports d’activité, on peut calculer le prix moyen d’un traitement. Entre 2015 et 2017, ce prix – c’est-à-dire ce qui a été facturé aux assureurs – a augmenté de près de 12%, tirant les primes à une hausse presque de même ampleur. Cette progression a un double impact : un impact direct sur les coûts de la santé (le CHUV « pèse » 1,7 milliards par an), et un impact indirect, car les pratiques de l’hôpital universitaire servent de modèle aux pratiques des autres hôpitaux publics et de la médecine privée.

Smarter medicine : l’espoir

Imaginer qu’une pratique plus efficiente, c’est-à-dire combinant efficacité et économicité, puisse être imposée par l’autorité politique seule est un rêve. Il n’y aura aucune maîtrise des coûts si la contrainte ne vient pas aussi de la Faculté elle-même. Or la dynamique universitaire et ses « rankings » pousse les études vers le « toujours plus, toujours mieux », sans limite financière. Les publications et les colloques qui présentent de nouvelles techniques d’examen ou de traitement n’abordent presque jamais leurs conséquences financières. Et le contexte juridique n’arrange rien.

Tout n’est pourtant pas désespéré.

Depuis quelques années, les sociétés savantes, au niveau suisse et international, ont développé la démarche « Smarter medicine », visant à renoncer à des examens ou des traitements inutiles. Une démarche dont l’objectif est de soigner aussi bien, voire mieux, en diminuant les coûts : coûts financiers certes, mais aussi coûts pour le patient qui échappe ainsi à des examens et des traitements inutiles mais pas inoffensifs.

On est heureux d’apprendre, en consultant le Plan stratégique 2019-2023, que le CHUV entend y lancer cette démarche dans les années qui viennent. Car il s’agit d’une démarche issue des milieux académiques eux-mêmes, les seuls qui soient en mesure d’agir efficacement sur les pratiques et les enseignements. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la démarche smarter medicine est une révolution dans un monde académique qui, au cours des cinquante dernières années, s’est accoutumé à la croissance sans limite et sans prix. Il faudra bien de la contrainte pour en généraliser l’esprit, mais une contrainte fondée sur des données scientifiques et non politiques.

Et la gouvernance du CHUV, dans tout cela ?

Un seul paragraphe dans un plan stratégique de soixante pages n’aboutira à rien si la gouvernance du CHUV n’en fait pas une priorité. Actuellement, la direction du CHUV a pour seul interlocuteur direct le Conseiller d’Etat en charge du DSAS. Porté par son orientation politique à critiquer davantage la médecine privée que la médecine d’Etat, M. Maillard n’a jamais mis beaucoup d’énergie à exiger du CHUV une pratique plus efficiente. Soumettre le CHUV à un conseil d’administration, comme le propose le PLR, n’aura de sens que si l’objectif de ce conseil est de modérer la croissance de l’institution et d’imposer une démarche de smarter medicine partout où cela est possible. Et s’il prend cet engagement, il devra, pour obtenir l’appui de tout le personnel soignant, imposer également une démarche de smarter administration : parce qu’il serait aussi temps de questionner l’efficience des procédures administratives !

Alors, Sylvain Besson, d’accord avec vous pour plus de contrainte : mais en osant dire sur qui l’exercer.




 

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