Jacques-André Haury Jacques-André Haury - médecin et député
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La supériorité de l’Occident, c’est la place faite au doute

Paru dans 24 Heures le 1 nov. 2006

«La tyrannie de la pénitence: essai sur le masochisme occidental»: le dernier ouvrage de Pascal Bruckner s’élève contre l’auto-dénigrement actuel de la civilisation occidentale. «Notre civilisation non seulement n’est pas la pire, mais elle pourrait même être la meilleure», nous suggère l’auteur, en prenant toutefois assez de précautions pour ne blesser personne.

Son raisonnement est simple: la civilisation occidentale a certes commis des fautes; elle a, comme tous les régimes, du sang sur les mains. Mais ses fautes, elle sait les reconnaître et prendre des mesures pour ne pas les reproduire. Il y a eu la colonisation, certes, mais il y a eu la décolonisation. L’Europe a enfanté le nazisme et le stalinisme, certes, mais elle a su leur mettre un terme et les condamner.

L’Europe a persécuté les juifs, certes, mais elle a su, ensuite, combattre l’antisémitisme. Quelle autre civilisation est-elle capable de se remettre ainsi en question et de corriger ses erreurs?

On pourrait poursuivre le raisonnement de Bruckner dans d’autres domaines: notre civilisation technique a inventé mille façons de polluer la terre et l’eau; mais elle a aussi entrepris l’épuration des eaux, elle a inventé le catalyseur, elle a développé des énergies propres. Notre civilisation a inventé le capitalisme et son potentiel d’enrichissement individuel; mais elle a aussi inventé des régimes sociaux qui protègent les plus faibles.

C’est que notre civilisation occidentale ose le doute. Dans ce sens, le protestantisme peut s’honorer d’une contribution fondamentale à notre identité: en mettant en doute l’autorité de l’Eglise, la Réforme a semé dans le terreau européen le germe de la remise en question universelle.

Il existe un lien direct entre ce mouvement religieux et le développement de la démocratie, au fil des siècles. Suffrage universel, liberté d’expression, liberté de la presse sont toutes les acquisitions d’une civilisation qui considère que les certitudes méritent constamment d’être contestées et vérifiées. Dans un régime totalitaire, à quoi sert la démocratie, puisqu’il n’y a qu’une vérité, et que le gouvernement la connaît?

Faut-il rappeler que le doute est à la base de toute démarche scientifique. Une affirmation scientifique comporte toujours sa propre mise en doute et ses propres limites, qui vont constituer le moteur d’une recherche ultérieure.

Ce qui est vrai pour les sciences dures l’est aussi pour les sciences humaines: lorsque celles-ci prétendent à la certitude, elles sombrent dans l’idéologie. Que les sciences se soient développées essentiellement dans la civilisation occidentale n’est pas un hasard, puisque l’attitude de questionnement permanent fait partie de l’identité même de cette civilisation.

En réalité, tous les combats du libéralisme - qu’il s’agisse des libertés individuelles, de la liberté du commerce, de la liberté de la recherche – sont fondés sur l’acceptation d’une incertitude: il se pourrait qu’un autre sache mieux, qu’un autre fasse mieux. Cette chance que le doute donne au «mieux» constitue le moteur de notre développement occidental.

Il est devenu politiquement incorrect de prétendre qu’une civilisation ou un régime politique vaut mieux qu’un autre. Nous sommes cependant légitimés à considérer que tous les intégrismes politiques ou religieux, qui ignorent le doute, plombent le développement des sociétés qui s’en réclament. Et Bruckner a raison: l’Occident ne peut porter la culpabilité de leur impasse.




 

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