Jacques-André Haury Jacques-André Haury - médecin et député
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De la croissance au renouvellement

Paru dans Le Temps le 15 mars 2010

Jacques-André Haury, président des Verts libéraux vaudois, pense que la hausse démographique en Suisse va devenir un problème majeur et que la politique économique est à reconsidérer.

Longtemps considérée comme un problème réservé aux pays en développement, la croissance démographique nous touche de plein fouet. De tous côtés, les indices de cette croissance passée et à venir nous parviennent, et nous y répondons soit par l’enthousiasme, soit par l’indifférence; rarement par l’inquiétude.

En 2009, Vaud voit sa population s’accroître de 12 941 personnes supplémentaires. Après 16 300 en 2008 et 9900 en 2007. Dans son rapport au Grand Conseil sur les Affaires extérieures 2008-2009, le Conseil d’Etat parle de «performances démographiques supérieures à la moyenne nationale», indiquant bien que ces chiffres le réjouissent. Pour les autres cantons, l’évolution est diverse, mais tous enregistrent une augmentation de leur population. En 25 ans, soit une génération, la population vaudoise a augmenté de 31%! Sur l’ensemble de la Suisse, cette progression est de 20%. Quant à l’emploi, on salue la création de 6000 postes de travail supplémentaires en 2009 dans le seul canton de Vaud, en sachant qu’ils contribuent à attirer chez nous de nouveaux habitants.

Il est d’usage de relativiser cette évolution en mettant en avant un faible taux de natalité chez les Suisses: puisque les Suisses font trop peu d’enfants, la croissance démographique ne serait qu’un épiphénomène passager. Certes, mais l’effet combiné du taux de natalité, de l’allongement de l’espérance de vie et de l’immigration font que notre population s’accroît régulièrement.

Faut-il se réjouir de cette évolution ou s’en inquiéter? La réponse est complexe. Pour les milieux économiques, ces chiffres signifient globalement un plus grand nombre de consommateurs, ce qui constitue une bonne nouvelle. A titre personnel, le médecin lausannois reconnaît qu’il est plutôt bénéficiaire de l’accroissement de la population lausannoise… Pour les dirigeants politiques, cette évolution est signe de vitalité et de prospérité, présentée comme un bilan positif au moment de la réélection. Quant aux finances publiques, elles se réjouissent d’un afflux de contribuables, appelés à couvrir demain les endettements d’aujourd’hui.

En revanche, pour les habitants, la croissance démographique se manifeste d’une façon opposée. Les files d’attente s’allongent sur les routes, dans les gares, aux urgences des hôpitaux. Tous les services publics sont saturés, qu’il s’agisse des écoles, des tribunaux ou des prisons. Les terrains libres se raréfient, les loyers augmentent.

Il est presque inutile d’ajouter que, sur le plan écologique, toute croissance démographique contribue à épuiser les ressources naturelles et à accroître les pollutions de tous ordres.

Vous critiquez la croissance! C’est donc que vous prônez la décroissance, m’objectera-t-on immédiatement. Et mon interlocuteur n’aura pas de peine à démontrer que les méfaits de la décroissance sont encore pires et que, tout compte fait, autant poursuivre dans une logique de croissance… et on verra bien.

Il y a pourtant entre la croissance et la décroissance un autre paradigme: celui du renouvellement. C’est en tout cas ce que la vie nous enseigne: les êtres vivants croissent puis meurent et participent ainsi à un renouvellement permanent. Ainsi se renouvellent nos forêts. Ainsi évolue aussi, il est important de le souligner, notre tissu économique, fait d’entreprises qui se développent là où d’autres disparaissent. C’est d’ailleurs l’effet périodique des crises économiques, en dépit de leur terrible rigueur pour les individus directement concernés.

Si l’attractivité naturelle de nos régions explique une partie de cette croissance, il faut bien voir que nos politiques publiques font tout pour l’accélérer. La politique sociale a une ambition nataliste, alors que la politique économique vise à augmenter sans fin le nombre d’emplois. A titre d’exemple, on pouvait lire, dans Le Temps du 1er mars, que pour lever un «obstacle au déménagement de multinationales sur les rives du Léman», on proposait d’introduire «des cursus anglophones dans les écoles publiques». Une mesure parmi d’autres, mais une mesure de plus, pour doper l’attractivité de nos régions!

La croissance démographique est en passe de devenir le problème majeur de notre pays. La sagesse serait d’en prendre conscience avant que la situation ne soit devenue ingérable et invivable. Et d’agir en conséquence.

C’est principalement la promotion économique qui doit être repensée: elle ne doit plus viser à augmenter le nombre d’emplois, mais à renouveler le tissu économique. En clair, affecter à de nouveaux employeurs les locaux des entreprises qui se ferment, et non pas des terrains encore non construits.

Et cette promotion économique doit rechercher l’équilibre entre les régions. Plutôt que de contribuer à l’engorgement du littoral, on peut affirmer que les cantons lémaniques auraient un intérêt direct à contribuer au développement économique du Jura, notamment.

En matière de politique sociale, il est temps de ne plus pratiquer la surenchère de mesures natalistes que l’on entend encore dans presque tous les programmes politiques.

Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas raisonnablement s’essouffler à gérer les effets de la croissance démographique tout en continuant à la saluer comme un enrichissement et à l’encourager.

Jacques-André Haury




 

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